Dans un monde dans lequel les produits technologiques sont notre bouée de sauvetage, quels sont les défis que doivent relever ceux qui les construisent ? Jon von Tetzchner, co-fondateur et PDG du navigateur Vivaldi, s’entretient avec Ingrid Ødegaard, co-fondatrice de Whereby, sur la protection de la vie privée, la culture du travail en Norvège et la conception de produits pour la communauté.
Whereby et Vivaldi partagent certaines des racines communes ; ils ont commencé et établi leur siège social en Norvège, les deux fondateurs ayant séparé leurs sociétés initiales de la compagnie de télécommunications norvégienne Telenor.
Ingrid Ødegaard, co-fondatrice et directrice des produits et de la technologie chez Whereby, a invité Jon à une discussion sur le rôle que joue la technologie dans la situation actuelle et à entendre ses réflexions sur les raisons pour lesquelles la vie privée ne cesse de gagner en importance, en particulier avec les utilisateurs finaux qui sont de plus en plus conscients et préoccupés par la manière dont leurs données personnelles sont utilisées.
Q : Jon, c’est la deuxième société indépendante de navigateurs que vous lancez. Pourquoi pensez-vous qu’il est important d’avoir de la concurrence sur le marché des navigateurs ?
Le navigateur web est un outil avec lequel les gens passent beaucoup de temps, et il fut un temps où nous étions proches de n’en avoir qu’un seul. Si cela avait été le cas, nous n’aurions eu qu’Internet Explorer, qui a dominé le marché pendant longtemps. Je ne pense pas que quiconque aurait été satisfait de cette seule option, car même Microsoft n’était pas satisfait d’Internet Explorer. Cela montre simplement la valeur de la concurrence et comment elle détermine la qualité des logiciels. Grâce à la concurrence, nous nous poussons les uns les autres ! Les navigateurs sont très importants parce qu’ils sont probablement les logiciels les plus utilisés que nous ayons. Il est donc crucial de disposer d’un choix et d’une grande variété de navigateurs.
Q : Chez Vivaldi, vous travaillez en étroite collaboration avec vos utilisateurs, en adaptant le navigateur à leurs besoins. Comment faites-vous et qu’est-ce qui détermine vos priorités ?
Au lieu de faire ce que les gens font habituellement lorsqu’ils développent des logiciels, c’est-à-dire regarder ce que font les autres, comment les gens utilisent les différents logiciels et s’appuyer sur des données agrégées pour prendre des décisions, nous préférons écouter ce que disent nos utilisateurs.
Nous avons un groupe de volontaires appelé les « Sopranos » au sein de la communauté Vivaldi qui participent avec nous aux tests de nos navigateurs et de nos services. Ils passent beaucoup de temps à nous aider à aider les autres et nous publions généralement des versions à destination de ce groupe une fois par jour ou parfois plus souvent. Nous diffusons ensuite des versions de développement publiques à la communauté au sens large une fois par semaine (ou plus) et cela nous permet d’avoir un retour d’expérience continu sur ce que nous faisons. Notre communauté se connecte sur des forums avec près de 700 000 membres enregistrés, et ils bénéficient de services gratuits de courrier électronique et de blog en plus de l’accès au forum.
Nous avons un mélange de bons et de mauvais commentaires qui proviennent de personnes qui ont généralement des opinions très fortes et constructives. Quel que soit le type de retour d’information, il est inestimable pour nous car il nous aide à construire un meilleur produit.
En général, nous essayons de créer un produit qui donne aux gens une grande flexibilité. Nous avons tous des méthodes de travail différentes. Ainsi, avec un outil que vous utilisez autant qu’un navigateur, il est clairement important de pouvoir l’adapter à vos préférences.
Q : Durant la crise actuelle, beaucoup de gens ont été contraints de sortir de leur zone de confort et ont dû explorer de nouveaux outils et de nouvelles méthodes de travail. Comment pensez-vous que cela va affecter la façon dont les entreprises et les personnes collaborent à long terme ?
Beaucoup de gens ont dû travailler différemment ces derniers temps. Mais pour nous qui travaillons (littéralement) sur Internet, cette façon de procéder n’est pas nouvelle. Il est toutefois compréhensible que beaucoup cherchent à trouver des moyens de reproduire le sentiment d’être au bureau.
Face à une situation difficile, la réaction naturelle est de rechercher le confort en étant avec les personnes en qui nous avons confiance et avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler. Lorsque tout le monde est assis à la maison, nous devons essayer de trouver des moyens de transformer cela en quelque chose de positif plutôt que négatif. Pour l’instant, j’ai l’impression que beaucoup de gens découvrent que cela peut vraiment bien fonctionner ! Si certaines des nouvelles méthodes de travail restent en place, il est possible que cela ait accéléré une évolution qui se serait de toute façon produite, dans un sens ou dans l’autre, au cours des trois à cinq prochaines années.
Chez Vivaldi, lorsque nous avons un nouveau besoin ou problème à résoudre, nous essayons tous les outils disponibles pour trouver la meilleure solution. C’est ainsi que nous avons fini par utiliser Whereby comme outil de réunion vidéo dans toute l’entreprise. Saviez-vous que vous pouvez utiliser la vue en mosaïque dans Vivaldi pour ouvrir une réunion vidéo à côté de n’importe quelle page web sur laquelle vous travaillez ? Nous voyons des choses similaires chez nos nouveaux utilisateurs, car d’autres personnes commencent à chercher d’autres navigateurs. Nous sommes convaincus que nous pouvons être un meilleur outil que les autres navigateurs. Dès que vous passez plus de temps en ligne, vous commencez à gérer vos données, à organiser ce que vous faites et vous voulez un navigateur qui vous aide à faire cela !
Q : À quel point pensez-vous que les entreprises qui travaillaient déjà à distance prennent de l’avance ? Elles ont clairement un avantage dans la situation actuelle.
Cela dépend du type d’entreprise, mais pour nous, il était tout à fait normal de passer un jour au bureau et le lendemain à la maison. Nous n’avons pas perdu une seconde lorsque la COVID-19 a frappé et tout le monde a continué à travailler normalement depuis son domicile. Nous bénéficions d’une flexibilité sur le lieu de travail depuis longtemps, et nous voyons maintenant le genre de résilience que cela nous apporte. Cependant, certaines entreprises, et c’est tout à fait compréhensible, n’étaient pas prêtes et ont dû faire face à une grande perturbation de leurs activités. Nous l’avons même constaté avec Google (parce que nous travaillons avec Chromium), qui a généralement des sorties programmées, mais qui en a, soudainement, sauté une. Ils ont annoncé une sortie prochaine, mais ils l’ont retirée et ont publié une déclaration disant qu’ils ne savaient pas quand ils seraient de retour. On pourrait penser qu’une entreprise comme Google serait prête, mais cela montre simplement qu’il y a un réel changement et que tout le monde s’adapte.
Q : Vous avez récemment lancé de nouvelles versions sur les ordinateurs de bureau et Android, qui intègrent tous deux des outils de protection de la vie privée. Comment ont-elles été reçues ? Est-ce que c’est quelque chose que la communauté souhaitait ?
Aujourd’hui, nous voyons que beaucoup trop de données sont collectées, mais je crois que c’est quelque chose qui n’a commencé à se produire qu’au cours des dernières années. Il y a un argument qui soutient la collecte de données parce que c’est en partie la façon dont l’internet est financé, mais il a bien fonctionné en tant que modèle commercial avant de se transformer en une entité capitaliste de type surveillance. C’est une chose qui, selon moi, doit être changée et nous avons plaidé pour que cela soit réglementé.
Nous avons retardé la sortie initiale d’Android parce que nous voulions ajouter un radar de traqueurs et un bloqueur de publicités fiables. Nous avons décidé de travailler avec DuckDuckGo parce que nous pensons que leur radar de suivi est l’un des meilleurs et des plus efficaces car il nous permet de bloquer une grande partie de ces traqueurs que beaucoup de gens n’aiment pas. Beaucoup de membres de notre communauté voulaient que cette fonctionnalité soit ajoutée dans les deux versions, nous avons donc dû porter la version présente sur le navigateur pour ordinateurs vers le système Android. Travailler sur la version Android a été plus difficile car nous avons rencontré des problèmes lors de l’utilisation de Chromium, et nous avons donc fini par utiliser une interface utilisateur native. Nous voulions être sûrs de bien faire les choses et que cela fonctionnerait vraiment bien.
Je pense que nous avons réussi parce que nous l’avons fait en pensant à l’utilisateur ; chaque utilisateur peut décider de ce qu’il veut voir, de la quantité de suivi qu’il veut autoriser et du nombre de publicités qu’il veut.
Personnellement, je suis dans le camp des gens qui souhaitent la pérennité de l’Internet gratuit, mais d’un autre côté, je n’aime pas être tracé. Je pense qu’une réglementation est nécessaire, cependant, je ne pense pas que les utilisateurs devraient avoir la possibilité de choisir s’ils sont suivis ou non, car nous savons que cette méthode ne fonctionne pas. La façon dont les utilisateurs reconnaissent et autorisent les cookies sans nécessairement vérifier les données qu’ils collectent, est une preuve suffisante.
Q : Il y a un dicton qui dit que « quand c’est gratuit, c’est vous le produit ». Chez Whereby, nous constatons que de nombreuses personnes souhaitent comprendre comment nous gagnons de l’argent et à qui nous appartenons, ce qui est formidable car nos revenus ne proviennent pas de la publicité ou de la vente de données d’utilisateurs. Nous, et de nombreuses start-ups comme nous, comptons sur une petite proportion d’utilisateurs pour payer une meilleure version du produit. Mais c’est aussi un modèle difficile à maintenir, surtout quand les géants de la technologie offrent la même chose gratuitement.
C’est un modèle que nous voyons beaucoup et qui est souvent utilisé par les grandes entreprises. Prenons l’exemple de Google. Google Maps est un service formidable, mais il a en fait un côté sombre. Au début, Google offrait son API Maps gratuitement, puis, après un certain temps, a commencé à la faire payer. C’est une méthode efficace pour attirer les gens et, bien que Google ait de sérieux concurrents sur le marché de la cartographie, en offrant son produit gratuitement, il devient très difficile pour un concurrent de s’imposer. En fin de compte, la concurrence a disparue. Si vous n’avez qu’un seul acteur sur le marché, les choses commencent à stagner. Plus il y a de concurrence, plus vous aurez d’innovations et c’est finalement ce que nous voulons voir.
Aujourd’hui, les gens se concentrent également sur la protection de la vie privée lorsqu’ils cherchent à utiliser un nouveau produit. Aux États-Unis, les grandes entreprises adoptent des pratiques qui entravent la vie privée et qui, en réalité, devraient être illégales. L’UE a été plus disposée à s’engager dans cette lutte avec les grandes entreprises et c’est une très bonne chose car nous avons besoin de la concurrence, mais nous devons aussi avoir des réglementations sur les données qui sont collectées sur les personnes. Plus précisément, nous devons veiller à ce que la création d’un profil sur les utilisateurs et le partage de ces données soient interdits.
Q : On a beaucoup parlé des problèmes liés aux publicités ciblées à l’approche de la dernière élection présidentielle américaine, et il y en a une autre qui se profile à l’horizon. Je pense que les personnes qui ne travaillent pas dans ou avec la technologie, comprennent profondément pourquoi la vie privée est importante. Selon vous, que faut-il faire pour que cette compréhension s’installe ?
Je pense que certains pays sont certainement plus avancés que d’autres en ce qui concerne la prise de conscience de la valeur de la vie privée et, à ce titre, ils gèrent déjà beaucoup mieux la situation. Beaucoup de gens, lorsqu’ils envisagent la protection de la vie privée, ne pensent qu’à leur seule vie privée et en concluent souvent qu’ils n’ont rien à cacher ou qu’ils se moquent simplement de savoir qui sait quoi à leur sujet, mais la question, bien sûr, va bien au-delà de cela. En tant que tel, plus la société peut être éduquée sur l’utilisation des données personnelles et de la vie privée, mieux c’est.
À mon avis, la collecte massive d’informations personnelles par des sociétés comme Facebook et Google doit être beaucoup plus réglementée, et le pouvoir doit revenir à l’individu, qui doit être pleinement informé pour être habilité. L’expérience montre que si les gens comprennent comment et pourquoi leurs données sont collectées, ils sont beaucoup plus disposés à s’y conformer, en particulier si elles sont utilisées d’une manière qui leur est bénéfique en fin de compte.
Q : Que pensez-vous qu’il se passera si cette question n’est pas réglementée à long terme ?
Nous commençons à voir les conséquences de l’énorme quantité de suivi qui se fait, en particulier sur la façon dont les profils sont établis et comment ces profils sont utilisés pour cibler les publicités à notre intention. Beaucoup de gens ne voient pas cela comme un problème, mais c’est en fait assez effrayant et dangereux, sachant que nous sommes profilés à des fins politiques pour nous faire réfléchir d’une certaine manière. Cela peut rapidement se transformer en champ de bataille et, d’une certaine manière, nous le constatons déjà. Par exemple, nous avons vu cela se produire dans le cadre des élections.
Nous voulons que notre démocratie fonctionne d’une manière différente plutôt que de nous faire spammer avec des opinions et d’être manipulés pour avoir des opinions que nous n’aurions pas autrement. Être placé dans des « moules » en fonction de qui nous sommes et de ce que nous pensons est, je pense, un problème sérieux et il existe à cause de la question sur la collecte des données. Je pense également que ce système d’annonces ciblées a des conséquences pour les éditeurs aussi. Mais le véritable problème auquel nous sommes confrontés est une conséquence de ce que font certaines des plus grandes entreprises : la collecte de données. Nous devons tous commencer à prendre nos utilisateurs au sérieux parce que nous voulons les soutenir, eux, les médias et le contenu Internet gratuit. Je pense que la réglementation est la solution à ce problème et je crois que cela aiderait réellement les petits éditeurs de qualité et le journalisme en général sur Internet. Je pense vraiment qu’il faut régler ce problème.
Q : L’approche de l’UE en ce qui concerne la loi sur la protection de la vie privée (RGPD) est allée assez loin et a même forcé certaines entreprises mondiales, qui veulent cibler ou servir le public de l’UE, à respecter leurs règles. Cependant, il semble qu’elle ne fasse que forcer les entreprises à être transparentes sur ce qu’elles collectent et à redonner un certain contrôle à l’utilisateur sur ce à quoi il consent, mais elle n’arrête pas vraiment le suivi.
Le RGPD n’arrête pas le suivi et je pense que c’est là le cœur du problème. Je suis conscient qu’ils ont des règles à ce sujet qui peuvent s’avérer utiles avec le temps, mais pour l’instant, les utilisateurs sont invités à accepter la collecte de données ou les cookies, et n’ont que très peu de choix en la matière. Je commence cependant à avoir l’impression que tout le monde collecte et partage des données de la même manière, ce qui n’est en fait pas le cas. Je crois qu’il y a une énorme différence entre une personne qui possède un site Web et qui collecte des informations sur les personnes qui visitent le site, et d’autres sites Web qui partagent des informations sur tout et sur tous, mais il est parfois difficile de faire la différence car la plupart des sites Web utilisent la même boîte de dialogue pour montrer qu’ils collectent des données sur les utilisateurs. Ce n’est pas correct. En fait, je pense que si un site collecte des données analytiques de base, il ne devrait pas être nécessaire de montrer ou d’inciter l’utilisateur à le faire, mais je suis convaincu que si une entreprise ou un site Web collecte des informations à un niveau plus profond et à une échelle permettant de les partager avec d’autres parties, cela devrait être plus évident.
Je pense, en particulier les grands fournisseurs de services comme Google, qui a accès à un niveau élevé d’informations, devraient informer l’utilisateur qu’ils collectent plus que des informations de base, mais qu’ils ne devraient pas être autorisés à collecter ce niveau de données. Je ne pense pas que les gens se rendent compte que même les banques, du moins aux États-Unis, partagent des informations sur ce que vous achetez. Votre emplacement est également suivi à l’intérieur des bâtiments et ces informations sont ensuite utilisées pour le ciblage publicitaire ultérieur. Il y a beaucoup d’idées concernant les publicités dans ce genre de contexte et je pense que c’est un problème énorme.
En outre, je pense que le grand problème est que les gens le considèrent comme un problème personnel plutôt que comme une question de société. La majorité du grand public ne sera pas gênée par le fait qu’une entreprise dispose d’informations sur eux, mais le vrai problème est de savoir comment les données sont utilisées et par qui. Lorsque ces données sont ensuite utilisées pour cibler les gens à grande échelle, elles sont vraiment puissantes et peuvent être utilisées pour manipuler les opinions des gens.
Q : Les différents pays ont actuellement des lois différentes sur la protection de la vie privée et il y a évidemment une grande différence entre les États-Unis et l’Europe. Certains pays peuvent avoir des réglementations encore plus strictes, même au sein de l’Europe. Ici, en Norvège, nous avons été très en avance et la valeur de la transparence fait partie de notre culture et de notre société. Pensez-vous qu’il pourrait être avantageux pour une entreprise technologique d’être basée dans un pays où la culture et la réglementation/les lois relatives à la vie privée sont strictes ?
D’un côté, je pense que les gens chercheront à avoir accès à des logiciels provenant d’entreprises qui conçoivent de manière éthique. D’un autre côté, je comprends pourquoi les entreprises collectent et vendent des données ; c’est lucratif. Les données sont vendues et utilisées de manière à générer beaucoup de revenus mais, en même temps, le retour sur investissement par utilisateur est très faible, donc vendre toutes nos informations pour une somme relativement faible ne semble pas valoir la peine pour une petite entreprise, mais les grandes entreprises en tirent clairement beaucoup d’argent.
Ainsi, lorsque vous, en tant qu’entreprise, décidez de faire les choses de manière plus éthique, d’une certaine manière, vous n’en tirez aucun avantage. Cependant, je pense que beaucoup d’utilisateurs veulent des entreprises éthiques parce que lorsque les gens commenceront à voir la différence entre la façon dont leurs données sont utilisées (ce à quoi les entreprises doivent faire très attention et ne pas en faire un mauvais usage) et les entreprises qui prennent ces données et établissent des profils, ils commenceront à voir une très grande différence. Je pense que de plus en plus de gens se rendent compte que c’est un problème et commencent à sélectionner les entreprises qui font ce qu’il faut.
Q : Pour en venir à un autre sujet, vous avez créé deux grandes compagnies (Opera et Vivaldi) à partir de rien, toutes deux dotées d’une communauté très forte et d’équipes très diverses avec beaucoup de personnes internationales. Pouvez-vous nous parler des principes sur lesquels vous avez fondé ces compagnies ?
Au fond, il s’agit de voir les individus. Mes équipes ont toujours été fondées sur les principes de la culture de travail norvégienne qui comprend une structure horizontale, une communication informelle et un fort sentiment de travailler ensemble. En même temps, j’ai toujours constitué des équipes internationales. Je sais que les personnes qui viennent de différents pays, se débattent parfois avec ces principes tels que « Oui, vous pouvez parler au patron », « Oui, vous pouvez même dire au patron votre propre opinion ou lui dire que vous n’êtes pas satisfait de sa décision » et ne sont pas licenciées. Nous applaudissons les discussions qui sont vraiment une bonne chose. Nous sommes allés très loin, et il s’agit en grande partie de réaliser que les employés sont la partie la plus importante de l’organisation.
Quand j’ai commencé à concevoir Vivaldi, nous avons décidé que nous ne voulions pas d’investisseurs. J’ai eu la chance de sortir d’Opera avec un peu d’argent, et cela m’a permis de financer Vivaldi. Avec Opera, je n’avais pas ce choix et c’est allé dans la mauvaise direction. Je pense que cela est dû au fait que nous avons dû trouver d’autres investisseurs et que nous avons malheureusement été malchanceux dans le choix des investisseurs.
Un autre aspect important est que Vivaldi appartient à ses employés. C’est notre entreprise et nous la construisons ensemble. Nous essayons de créer une bonne culture d’entreprise. Nous sommes une entreprise distribuée. Nous avons un responsable des ressources humaines dans chacun de nos trois bureaux. Même si nous sommes une petite start-up d’un peu plus de 50 employés, nous avons toujours cinq personnes qui s’occupent de tous les employés. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’entreprises qui ont ce genre de ratio, mais nous avons d’excellentes personnes qui travaillent au bien-être de nos employés.
Anne Christiansen, l’une des cofondatrices de Vivaldi, a travaillé avec moi chez Opera. Nous nous sommes toujours attaché à prendre soin de nos employés et nous assurer qu’ils sont heureux est une tâche extrêmement importante. Il y a beaucoup de détails différents que vous verrez pour rendre les gens heureux. Il s’agit de choses comme la nourriture, la flexibilité, et plus encore. Par exemple, nous avons une petite salle de jeux dans notre bureau pour que nos employés puissent amener leurs enfants au travail en cas de problèmes avec leur école ou leurs services de garde d’enfants. Bien que nous préférerions que les gens travaillent au bureau, ils peuvent également choisir de travailler à domicile si nécessaire.
Nous organisons également des réunions régulières chaque été dans notre Maison de l’innovation aux États-Unis. La maison compte 30 chambres. Cela encourage le plus grand nombre possible de personnes à nous rejoindre, avec leur famille. Nous ne sommes donc pas dans le cliché de l’entreprise qui se rend quelque part pour faire une grande fête pendant un week-end et d’où les gens reviennent avec des maux de tête. Dans notre cas, c’est plutôt une affaire de famille et une expérience totalement différente. Nous organisons également des réunions d’équipe plus petites en Islande et en Norvège, où nous nous rencontrons, travaillons et discutons. Les réunions sont vraiment importantes parce que non seulement nous restons ensemble pendant le temps de travail, mais nous faisons aussi des choses ensemble qui créent des liens solides.
Nous traitons nos utilisateurs de la même manière. Nos utilisateurs sont notre famille élargie qui comprend nos testeurs, appelés Sopranos, les traducteurs et les membres de notre communauté. Nous les traitons comme nos amis. Notre slogan de travail est basé sur une pensée simple : « Nous construisons un navigateur pour nos amis ». Le principe de base est que vous n’espionnez pas vos amis parce que ce n’est pas agréable. Nous écoutons nos amis et nous prenons en compte leurs conseils, leurs commentaires et leurs questions, et même leurs critiques parce que nous pensons que la critique entre amis est une bonne chose.
Q : Pour en revenir à la question de l’actionnariat, pensez-vous que davantage d’entreprises devraient avoir un modèle où les salariés sont propriétaires ?
Oui, je crois vraiment qu’il faut s’assurer que tout le monde fasse partie de l’équipe. Ma réflexion a toujours été portée sur le long terme et je pense que c’est très scandinave d’une certaine manière, nous avons des contrats avec des personnes qui ne sont pas là pour seulement 2 semaines ou à volonté. Nous travaillons ensemble avec l’intention de faire fonctionner les choses sur le long terme et nous cherchons des gens qui y croient. C’est la base de notre relation. Je pense que plus d’entreprises devraient faire cela !
Je pense qu’après avoir fait entrer une entreprise en bourse et avoir procédé à des levées de fonds, la propriété de l’entreprise est assez souvent contrôlée par les actionnaires. Parfois, vous n’avez pas de chance avec les investisseurs, et vous vous retrouvez avec une entreprise qui ne va nulle part. Nous avons vu cela arriver à de nombreuses entreprises en Norvège et dans le monde entier ; les entreprises se développent jusqu’à un certain niveau et ensuite elles se vendent.
Dans notre cas, nous avons été très clairs : ce n’est pas ce que nous voulons faire et ce n’est pas ce que nous allons faire. Nous ne voulons pas devenir publics. Nous avons un état d’esprit différent. Nous voulons construire une grande entreprise. Nous voulons construire de grands logiciels. Mais je comprends pourquoi c’est difficile à faire pour la plupart des start-ups. C’est la difficulté que j’ai rencontrée avec Opera ; nous avions besoin d’argent et nous n’avions pas d’autre moyen pour l’obtenir. Je ne vois donc vraiment pas comment nous aurions pu faire les choses différemment. En conséquence, nous avons fini par obtenir des investisseurs qui n’étaient pas les meilleurs.
Q : J’ai lu sur votre blog que vous sponsorisez une équipe de football locale dans votre communauté locale et la création de communautés semble avoir été un thème tout au long de votre carrière. Vivaldi a commencé comme une communauté et cette situation où tout le monde travaille maintenant à distance et collabore à l’échelle mondiale, quel rôle voyez-vous pour la communauté ? Pourrait-il même être renforcé ?
L’une des choses que nous voyons avec Whereby est la façon dont elle change la vie de plusieurs de nos employés et utilisateurs. La possibilité de travailler à distance leur a permis de s’installer dans un petit village où leurs familles se trouvent ou qui est proche de la nature, avec des logements plus abordables, ce qui a augmenté leur qualité de vie globale de nombreuses façons.
Les communautés sont très importantes. Et comme vous l’avez dit, dans mon cas, il s’agit de construire des communautés et de soutenir la communauté qui m’entoure. Cela inclut l’entreprise et les personnes qui nous entourent. Dans ma communauté locale en Islande, d’où je viens, nous avons décidé de soutenir le club de football local. C’est une petite communauté de 4 000 personnes avec 400 enfants dans le club qui comprend plus ou moins tous les enfants. Le club joue un rôle essentiel dans leur vie et leur donne un sentiment d’appartenance. Soutenir quelque chose comme cela en vaut la peine. Et c’est quelque chose que j’aimerais continuer à faire.
De la même manière, j’ai essayé de soutenir les jeunes pousses. Je soutiens le StartupLab par le biais du Founders Fund à Oslo. J’ai également créé la Maison de l’Innovation en Islande qui offre un espace pour les start-ups sans condition. En gros, elles paient un petit loyer mais nous ne les faisons pas rester chez nous en leur demandant une partie de leur entreprise. C’est en fait le contraire et nous aimerions les soutenir de la meilleure façon possible pour leur donner un espace pour se développer. Ce n’est pas une question de propriété. Il s’agit de redonner.
Il ne s’agit pas forcément de retour sur investissement, nous pouvons tous simplement nous soutenir les uns les autres. Je pense que dans ce type de société et avec les problèmes que nous avons maintenant à l’échelle mondiale, ce que nous voyons au niveau local est fantastique ; les gens se donnent beaucoup de mal pour s’entraider. Je crois en un leadership qui vous permet de travailler ensemble.
Cette interview a été publiée pour à l’origine sur le blog Whereby.